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Déclin, ou lutte idéologique

Jean Le Garrec

Mardi 11 Avril 2006

Jean Le Garrec

Le déclin se porte décidemment très bien. On ne compte plus les articles, analyses, livres sur ce thème.

Une récente émission télévisée, était titrée "les élites sont-elles responsables du déclin de la France ?". Nous n'étions plus dans l'interrogation mais dans l'affirmation. Il ne restait plus qu'à débusquer le ou les responsables. Participants à cette émission, pour l'écrivain G.Dantec installé au Canada, notre pays est malade des idées de mai 1968. Pour B.Cassen, Président d'honneur d'Attac, le succès du non au référendum est une victoire du peuple sur les élites etc...

Nous n'avons plus le droit de sous-estimer l'importance de ce débat. Il sera présent lors des prochaines campagnes politiques.

Le "déclin" a été souvent utilisé dans notre histoire, en général par la droite, particulièrement la plus réactionnaire. Pour elle, si la France a perdu la guerre de 1940, cela n'a pas pour cause essentielle l'incompétence tragique de l'état major Français, mais l'esprit de "jouissance".
Haro sur les congés payés, les conquêtes du Front Populaire, la mollesse des ouvriers que l'on retrouve sur les plages. Il y a 2 ans, un ministre de Raffarin a osé reprendre cette analyse.

Aujourd'hui si la France a des difficultés, perd de son prestige, n'a plus la même vigueur pour résister à la compétition internationale c'est la faute des 35 heures, du laxisme de la gauche. La France ne travaille pas assez. La moindre critique venant de nos rangs, s'accompagne de clameurs : les 35H, les 35", l'apha et l'oméga de toutes les difficultés. Peu importe la réalité, la meilleure productivité européenne de nos salariés, les résultats remarquables de l'usine Toyota à Valenciennes, qui applique pourtant les "35 heures".

Lors de la mission sur le temps de travail, un responsable important du Medef, auditionné, affirme tranquillement "avec les 35H, vous avez commis un pêché contre l'esprit".

Cette campagne politique permanente a des effets redoutables sur l'opinion publique. Elle sème le trouble y compris dans nos rangs.

S'appuyant sur cette affirmation des causes de notre "déclin" il n'est nul besoin de trouver des justifications à la casse sans précédent du code du travail. Peu à peu, texte après texte, décret après décret, notre démocratie sociale s'émiette.

Dans un remarquable article, paru dans la revue Droit Social de septembre 2005, sous le titre "le stroboscope législatif", le professeur E. Dockes écrit "il a donc été jugé préférable de procéder par petites étapes successives. Le coût des heures supplémentaires a été réduit, le nombre d'heures supplémentaires susceptibles d'être ordonnées par l'employeur a été accru, certains temps anciennement qualifiés de temps de travail ont été requalifiés en temps libres, un jour férié a été supprimé, les possibilités d'adopter un calcul en "forfait-jours" ont été accrus».

Aucune réforme ne remettait seule en cause les 35H. Cumulées, elles ont fait beaucoup plus qu'opérer un retour au point de départ. Cette politique du petit pas est efficace.

Découper une réforme en petits morceaux nous oblige à un difficile travail d'explication et de reconstruction. Il arrive parfois que le débat éclaire brusquement la nature du projet. Soissons déclarant : "l'objectif est d'individualiser les rapports entre le salarié et l'entreprise". Bien entendu, malgré nos interventions, la phrase n'est pas reprise. Nous avons fait le calcul. Le salarié d'une petite entreprise peut travailler 48 heures par semaine, pour une entreprise de 20 salariés 44H par semaine. La seule motivation qu'utilise la droite est celle de l'intérêt collectif en réaction contre le "déclin" de notre pays.

Il ne suffit pas de dénoncer. Nous avons l'impérieuse obligation de réfléchir à la place de notre pays dans le monde et en particulier au rôle de la France dans l'espace essentiel qu'est aujourd'hui l'Europe. La France n'est plus la grande puissance du 18 et 19ème siècle. Nous avons du mal à nous faire à cette idée, ce qui rend notre comportement souvent insupportable. Nous pouvons être donneurs de leçons mais avoir aussi une tendance forte à l'auto flagellation. Dans un monde de conflits où l'on peut vérifier la pertinence de l'analyse sur la crise des grands systèmes, nos réactions ne sont pas toujours comprises.

Quand il s'agit de défendre une position juste comme le refus de la guerre en Irak, nous avons raison d'assumer cette difficulté. Cela n'est pas toujours le cas. Ce mélange d'arrogance et de manque de confiance brouille notre image. Prenons un exemple simple, celui du sport. Nous survalorisons nos victoires et bien entendu nos défaites. Nos champions portent une charge de représentation qui pèse lourdement sur leur comportement. L'Angleterre ne fait pas un drame des résultats médiocres lors des derniers championnats du Monde d'athlétisme.

Cette image que nous donnons agace notre pays qui a perdu de son autorité intellectuelle et créatrice, des années 30 et 60. Dans les années 30, tout venait de Paris, il suffit de lire les souvenirs de nombreux écrivains étrangers comme Hemingway. Les années 60 étaient celles d'une innovation permanente du débat : la controverse Sartre Camus, les grands philosophes Foucault, Deleuze, R.Barthes, le nouveau roman avec C.Simon notre dernier prix nobel, bien des noms encore..;

L'impulsion des années 80 de F. Mitterrand est très loin derrière nous. Il est vrai que nous avons vécu le sommet de la non pensée politique avec les Raffarinades et la médiocrité philosophique avec Luc Ferry.

Il est de bon ton de jeter le discrédit sur ces années et particulièrement sur "l'esprit de mai". Affirmer sa détestation du "politiquement correct" est à la mode. L'écrivain Houellebecq devient le porte parole de ce courant. Il retrouve une inspiration chez Céline qui redevient à la mode. La tendance moutonnière des médias fait que l'on ne parle que de cela. Il paraîtra 400 romans français à la rentrée, 2 ou 3 pas forcément les meilleurs, vont prendre toute la place.

Ce qui est vrai pour le livre l'est aussi pour l'architecture, où le cinéma. La création architecturale démontre une grande inventivité à Londres et une faiblesse à Paris. Avec l'appui du CNC la production française de films est très dynamique, mais la créativité est pour l'essentiel en Corée, en Afrique, au Moyen Orient. Sauf exception heureuse, regard sur la société n'a que peu de place, l'intimisme remplace le souffle.

Jugement excessif et sévère, très certainement. Mais, l'humeur permet d'avoir un débat. Les sondages récents donnent l'image d'une France démoralisée, perdant sa confiance en l'avenir. Un journal populaire du matin titrait "les Français ont le moral dans les chaussettes". Le retour à la confiance passe par l'affirmation d'un projet, le lien entre l'économique et le social, l'invention de l'Europe. Mais, un pays ne se découpe pas en tranches. La créativité permet de retrouver plaisir et confiance.

L'enjeu est certainement la rénovation démocratique qui ne peut se réduite à la seule dimension des institutions. Le délitement social depuis 3 ans, s'aggrave rapidement. L'objectif de la loi de lutte contre les exclusions est progressivement abandonné. Il faut recréer de l'écoute et du lien social. Cette démarche est indispensable, car, les associations qui jouent un rôle indispensable de médiation s'essoufflent. On en connaît les causes : gel progressif des moyens, mais aussi, non renouvellement des générations d'animateurs.

Dans son dernier livre "multitude" Antoine Négri explore cette nécessité avec un sous-titre "guerre et démocratie à l'âge de l'empire". Dans cette démarche le langage et l'image jouent un rôle déterminent. L'utopie créatrice demeure le levier essentiel pour lutter contre cette angoisse du lendemain.

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