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Joseph Rosenfeld : Lettres du stalag : 1940-1945 Préface de Jean Lacouture
L’émouvante correspondance d’un prisonnier de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale
C’est pour maintenir bien vivante la mémoire de son père que Jean-Michel Rosenfeld a édité les 163 lettres que ce dernier envoya à sa famille durant toute sa captivité, de 1940 à 1944.
Soldat au 21e régiment d’Infanterie coloniale, Joseph Rosenfeld (1911-1976) est fait prisonnier en juin 1940 par une patrouille allemande à Charmes dans les Vosges.
Il échappe à une exécution sommaire en affirmant au chef de la patrouille qu’il n’est pas juif. Commence pour lui une longue captivité dans un camp de prisonnier (stalag) à la frontière entre l’Autriche, l’Italie et la Yougoslavie. Le Kommando dont il fait partie est composé uniquement de juifs, pour la plupart étrangers engagés volontaires en 1939. Bien que protégés par la Convention de Genève, ils sont assujettis aux travaux les plus pénibles. Joseph entame alors une correspondance avec sa femme et ses parents (163 lettres) entre octobre 1940 et décembre 1944. Il raconte sa vie quotidienne et s’inquiète pour sa famille restée à Paris. Il parle aussi beaucoup de son fils, Jean-Michel, qu’il ne verra pas grandir pendant ces cinq années. Dans sa préface, Jean Lacouture écrit : "Ce qui frappe, dans cette émouvante série de lettres adressées aux siens par Joseph Rosenfeld, c’est l’extraordinaire sérénité dont fait preuve cet homme que ses origines vouent plus encore que d’autres, aux pires sévices.
Bien loin de s’appesantir sur son sort, sur les menaces qui pèsent sur lui, sur la cruauté des traitements qui lui sont infligés, il ne pense qu’au sort de ses proches, sachant ce que peut imposer un occupant nazi à une société accablée par la défaite".
C’est pour maintenir bien vivante la mémoire de son père que Jean-Michel Rosenfeld a édité les 163 lettres que ce dernier envoya à sa famille durant toute sa captivité, de 1940 à 1944. Le jeune homme, âgé d’une trentaine d’année, est fait prisonnier en juin 1940, et est emmené de camps de travail en camps de travail, à travers l’Autriche, l’Italie, la Yougoslavie, ayant pris soin de cacher, au départ, ses origines juives. Il rentre à Paris le 6 juin 1945, méconnaissable – ayant perdu un tiers de son poids – mais bien vivant.
Ce n’est pourtant pas d’histoire qu’il s’agit. Certes, l’éditeur a tenu à intercaler certaines lettres dans leur calligraphie originale, mais aussi des dessins, des enveloppes, pour donner au livre une concrétude proche des marottes des historiens. On remonte, si l’on peut dire, à la source. Mais on ne trouve pas d’appareil de notes, ni de réponses à des questions importantes, comme celle de savoir comment Joseph Rosenfeld, affecté à des commandos de travailleurs juifs, fut épargné par la machine de destruction européenne de la "Solution finale". L’ouvrage n’existe qu’à travers les lettres qui quittent le camp pour rejoindre Paris, la famille, l’épouse, le fils.
Non, c’est de littérature qu’il s’agit. Pas de références à Hitler, à la situation politique, ni à quoi que ce soit qui puisse éveiller l’attention de la censure- dont on retrouve les traces disséminées dans la correspondance. Les missives se suivent et se ressemblent : elles n’ont qu’une seule fonction, rappeler que chacun, soumis au danger de la mort, continue de vivre. Elles sont d’une régularité de métronome, égrenant les questions avec une rigueur que rien ne vient entamer : les colis, la santé, les nouvelles… Derrière cette monotonie, on peut sentir la force de l’angoisse, la force de l’absence. Chaque lettre pourrait finalement se résumer à deux phrases : "je suis encore en vie. Êtes-vous encore en vie ?". En cela, les lettres de Joseph Rosenfeld font œuvre de littérature à la manière de celles de la marquise de Sévigné. Tout comme elles, elles n’ont qu’un but : dire l’absence. Mais celles de Joseph Rosenfeld le font dans un contexte bien plus tragique, bien plus menaçant. Le livre fermé, ce qui frappe, c’est l’extraordinaire illusion maintenue pendant quatre ans par cet homme, qui à chaque lettre rassure, cajole, assure que tout va pour le mieux, que la santé est bonne, que tout n’est pas si grave, et revient à Paris en 1945, amaigri, ayant perdu ses dents… Cette illusion, c’est celle du masque, celle d’un homme qui se drape dans sa dignité et drape avec lui ses lettres, laissant transparaître une force hors du commun : celle d’endurer. La correspondance est souvent légère, badine, drôle – le père tance parfois son marmot avec beaucoup d’humour – et on pourrait presque se laisser prendre au jeu de cette image d’une captivité sans encombre. Et lorsqu’on sait ou lorsqu’on devine l’extraordinaire dureté du camp, l’angoisse abyssale de la séparation, cette sérénité n’en est que plus frappante