Vous êtes dans : Accueil > La vie du Cercle : Colloques et Réflexions > Colloque : Le travail, à quel prix ? > Le travail à quel prix?
Le travail à quel prix?
Toute action visant à améliorer à la fois l’homme et la société doit, me semble-t-il, passer par 3 phases :
1 – Une phase d’analyse. Il s’agit de comprendre avant d’agir, comprendre pour agir. Nous devons commencer par nous poser la question : dans quel système (au sens de l’analyse systémique) sommes-nous ?
2 – Il faut ensuite, ainsi que le rappelait Jean Le Garrec, avoir de vraies valeurs. A partir de ces valeurs et de l’analyse faite du système se demander quels sont les leviers dont on dispose.
3 – Ensuite seulement, on peut faire des propositions d’actions. Mais il faut alors avoir présent à l’esprit que lorsqu’on lance une action on ne peut, dans des systèmes de plus en plus complexes, en prévoir toutes les conséquences[1].
Toute action visant à améliorer à la fois l’homme et la société doit, me semble-t-il, passer par 3 phases :
1 – Une phase d’analyse. Il s’agit de comprendre avant d’agir, comprendre pour agir. Nous devons commencer par nous poser la question : dans quel système (au sens de l’analyse systémique) sommes-nous ?
2 – Il faut ensuite, ainsi que le rappelait Jean Le Garrec, avoir de vraies valeurs. A partir de ces valeurs et de l’analyse faite du système se demander quels sont les leviers dont on dispose.
3 – Ensuite seulement, on peut faire des propositions d’actions. Mais il faut alors avoir présent à l’esprit que lorsqu’on lance une action on ne peut, dans des systèmes de plus en plus complexes, en prévoir toutes les conséquences[1].
Cette intervention porte sur l’analyse du système dans lequel nous évoluons. Elle concerne 3 de ses aspects qui, me semble-t-il, ne sont pas pris en compte de façon toujours satisfaisante : la globalisation de la finance, le fait que les capitaux ne soient plus aujourd’hui liés aux territoires, la faiblesse durable de la croissance en France.
1 – La globalisation de la finance[2]
En 2002 l’ensemble des transactions, financières plus celles relevant de l’économie dite « réelle » ont représenté environ 1150 téra dollars soit 1150 milliers de milliards soit encore 1,15 million de milliards. L’ensemble se décompose en
- Transactions sur produits dérivés : 699[3]
- Transactions de change : 385[4]
- Transactions financières : 39[5]
- Transactions sur biens et services : 32[6]
Ces chiffres, au-delà du vertige qu’ils provoquent[7], sont source d’enseignement.
Tout d’abord, ce qu’on appelle « l’économie réelle » et qui est mesurée, bien ou mal c’est un autre débat, par le PIB mondial, représente moins de 3 % de l’ensemble des 1150 téra dollars. Sa part continue de diminuer. Les bourses mondiales dont on parle tout le temps représentent à peine un peu plus de 3% du total.
Deuxièmement, certaines variables de la finance libéralisées (voir l’ouvrage de F Morin déjà cité) sont en mesure d’imposer leurs décisions à l’économie réelle. Or, une part très importante de cette finance là se traite de gré à gré et non sur des marchés organisés. Cette part est opaque, elle est de plus souvent fortement spéculative[8].
Troisième observation : à côté des plus gros investisseurs institutionnels (en particulier les plus importants fonds de pension et fonds mutuels) quelques banques se sont entièrement globalisées et exercent un rôle capital et essentiel. En offrant, à travers les contrats « swaps » notamment, des taux d’intérêt fixe aux entreprises, ce qui permet à ces dernières de se couvrir face au risque d’augmentation des taux, les grandes banques internationales se sont arrogé un pouvoir immense, en particulier sur la formation des taux d’intérêt.
L’analyse mériterait d’être affinée[9]. A travers ces quelques remarques on voit cependant bien quelques-unes des questions qui se posent aujourd’hui à nous :
- Qui contrôle ? Y a-t-il un pilote à bord ?
- A quoi sert la démocratie si la finance et l’économie lui échappent en totalité ?
- Peut-on encore parler d’économie de marché si la plus grande part de l’économie (et qui de plus ne cesse de se développer) échappe totalement aux règles de la dite économie de marché ?
2 – Les capitaux ne sont plus liés aux territoires
Prenons l’exemple de ce qu’on a appelé le capitalisme rhénan ou encore la cogestion à l’allemande. Les représentants du capital et les représentants du travail se retrouvaient pour discuter de la répartition des gains de productivité, sous le contrôle de l’Etat, représentant de l’intérêt général. Les gains étaient répartis entre les actionnaires, les salariés, les clients, la collectivité.
Ce mode de fonctionnement est devenu aujourd’hui impensable. Pourquoi ? Tout simplement parce que les capitaux peuvent être délocalisés en une fraction de seconde. En effet, ils sont totalement mobiles (fin des accords de Bretton Woods) et se déplacent à la vitesse de la lumière grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Sur les 3 acteurs, nous en avons 2 qui sont liés à un territoire (les salariés et le gouvernement) et 1 qui ne l’est pas. Les représentants du capital ne sont plus tenus de passer des compromis avec les autres acteurs. Ils sont dans une situation de totale domination. Or, l’expérience montre que, lorsqu’on est dans cette situation, on en abuse toujours.
3 – Le mythe de la croissance retrouvée
Lorsque l’on regarde les programmes des partis politiques, on arrive toujours, dans tous les cas, à une seule et même proposition : notre programme sera financé par la croissance. Cela fait des années que l’on entend, à droite comme à gauche, cet appelquasi magique à la croissance. Le dernier exemple en est fourni par l’actuel Président de la République qui nous promet d’aller chercher 3% de croissance, « avec les dents » s’il le faut.
Or, hélas, depuis des années notre croissance se traîne. Elle existe, et très forte, dans certains pays en voie de développement. En ce qui concerne la France, alors qu’elle était, en moyenne, de 5,6% dans les années 1960, de 3,7% dans les années1970, de 2,2%dans les années 1980, elle n’était plus que de 1,8% dans les années1990. C’est le taux de croissance qui est d’ailleurs prévu pour l’année 2007 par un certain nombre d’instituts de prévision. L’OCDE envisage même une croissance encore plus faible pour les années à venir (sans doute de l’ordre de 1,5%).
Le bon côté des choses, si l’on peut dire, réside dans le fait que nous savons que, dans l’état actuel de nos pratiques, notre planète ne peut pas supporter une forte croissance. Nous constituons donc, en quelque sorte, l’avant-garde du monde de demain.
La mauvaise nouvelle c’est que nous ne pouvons compter sur la croissance, en France, pour régler nos problèmes. Nous devons faire l’effort de rechercher d’autres voies, plus en harmonie avec ce que peut accepter la nature.
Compte tenu de ce qui a été vu dans les 2 points ci-dessus, une réflexion de fond, alliant la sphère économico-financière, la sphère sociale et la sphère environnementale, est aujourd’hui, me semble-t-il, vitale. Cela ne veut pas dire que des mesures concrètes, pragmatiques, ne sont pas à concevoir afin d’apporter, ponctuellement, des réponses, si possible humanistes, à des questions urgentes. Mais cela ne suffira pas. Comme le disait Pierre Dac, à moins que ce ne soit Francis Blanche, « nous devons penser le changement ou alors nous devons nous résoudre à changer les pansements. »
L.Chaffard
[1] « L’écologie de l’action enseigne que toute action humaine, dès qu’elle est entreprise, échappe à son initiateur et entre dans un jeu d’interactions multiples qui la détournent de son but et parfois lui donnent une destination contraire à son intention. Ceci est vrai en général pour les actions politiques, ceci est vrai aussi pour les actions scientifiques. » Edgar Morin La Méthode 6 Ethique
[2] François Morin Le nouveau mur de l’argent Essai sur la finance globalisée
[3] Il s’agit de produits apparus récemment pour faire face aux risques liés à l’instabilité des changes flottants et des taux d’intérêts
[4] En août 1971, de façon unilatérale, les USA mettent fin aux accords de Bretton Woods avec l’adoption des « taux de change flexibles ». Les capitaux financiers deviennent capables de se mouvoir à l’échelle de la planète
[5] Ensemble des transactions de l’année 2002 sur l’ensemble des marchés boursiers (actions et obligations) du monde.
[6] Il s’agit ici du PIB mondial
[7]Chaque seconde il s’échange, sur les différents marchés financiers, environ 50 millions de dollars …
[8] Là encore voir l’ouvrage de F Morin. La part dont il est question comprend notamment les contrats « swaps »(échange d’un taux variable contre un taux fixe) négociés de façon bilatérale entre un émetteur de titre (en général une entreprise) et son banquier. Elle comprend également les « hedge funds », fonds très spéculatifs souvent situés dans des paradis fiscaux.
[9] Eric Reinhardt, dans son roman Cendrillon, décrit de façon passionnante (pages 281 à 292 dans l’édition Stock) comment fonctionnent les marchés dérivés et les « hedge funds ».
Laurent Chaffard