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Table ronde : la souffrance au travail
Le travail est une double acceptation d'efforts et de contraintres.
Le travail donne lieu à des contreparties aux efforts et aux contraintes.
Face au décalage entre les textes et l'évolution des conditions de travail, la tendance est de médicaliser alors même qu'on ne peut pas trouver de réponse individuelle.
Une recherche de nouveaux équilibres devrait notamment s'appliquer à la question de l'intensification du travail
On constate une dérive de la notion de « contrainte et d'effort » en une notion de souffrance.
Le Dr. Michel Debout [1], introduit le débat avec une mise en garde contre les concepts à la mode, les abus de langage, ces mots que l'on utilise à la place d'autres pour les vider de leur sens originel et générer une confusion dans les esprits. Michel Debout s'attarde donc à définir ce qu'est le travail.
Le travail est une double acceptation d'efforts et de contraintres.
- Effort physique puis par extension, effort mental.
- Contraintes :
l de temps variable selon le poste que l'on occupe (Liberté de choisir les horaires, ou l'âge de la retraite)
l d'environnement physique, sonore, ergonomique
l de relations (on ne choisit pas ses collègues)
l de production avec des résultats visibles de l'effort ou avec des résultats plus difficilement quantifiables (production de prestations immatérielles)
Le travail donne lieu à des contreparties aux efforts et aux contraintes.
- Reconnaissance du travail accompli
l Salaire
l Respect des droits à la dignité et à la formation
- Préservation de la santé
Le Dr. Debout rappelle que les contreparties, toutes les contreparties, sont dues au salarié.
Un second mot, « le Stress » mérite d'être précisé : le terme de « stress » appartient à la biologie, il est dépourvu de connotation morale et correspond à la pulsion vitale ou à la pulsion de survie. Son sens est dévoyé lorsqu'il est utilisé pour définir des formes de souffrance au travail comme les dépressions, les conduites addictives ou les violences. Le médecin peut soigner ces souffrances mais il n'a pas le pouvoir d'en guérir les causes. Le mot de « stress » par son ambiguïté fait obstacle à une analyse du rapport entre le travail et ses contreparties.
Lors du débat ainsi lancé, il est constaté que le travail est conditionné par une logique contractuelle où pourrait s'épanouir un cycle d'amélioration des conditions de travail et d'amélioration de la production.
Cette notion contractuelle est cependant contestable car dans une relation collective, et non individuelle, l'amélioration des conditions de travail dépend de conditions qui précèdent toujours les textes.
Face au décalage entre les textes et l'évolution des conditions de travail, la tendance est de médicaliser alors même qu'on ne peut pas trouver une réponse individuelle.
On constate une dérive de la notion de « contrainte et d'effort » en une notion de souffrance : pas de souffrance, pas de travail, pas de mérite... au nom de cette dérive, travailler plus, c'est souffrir plus pour atteindre plus de résultats.
Dire que le travail est une chance, que c'est un acte majeur de l'individu est la bonne réponse à cette dérive conceptuelle mais cela doit se traduire par la recherche permanente de l'équilibre entre d'une part les efforts et les contraintes et d'autre part les contreparties.
Cette recherche de nouveaux équilibres devrait notamment s'appliquer à la question de l'intensification du travail car la recherche de la quantification dans la « culture du résultat » amène à oublier la part du non quantifiable, elle amène à négliger l'humain.
L'intensification du travail ne serait-elle pas l'effet moderne de la soumission des droits personnels au droit de propriété, n'est-elle pas l'effet d'un système fondé sur le profit sans contraintes : Il existe une réelle souffrance des personnes qui ne peuvent plus exercer leur métier sous prétexte de rentabilité insuffisante et au mépris de l'utilité sociale du travail.
Dans le secteur des emplois qualifiés, le management moderne fondé sur la recherche du résultat et sa mesure par la quantification ouvre un champ d'action aux pervers qui peuvent construire leur carrière par la manipulation des personnes et le harcèlement. Dans le secteur des emplois moins qualifiés, le recours à la sous-traitance, la délocalisation ou l'utilisation de clandestins peuvent permettre de satisfaire aux critères de rentabilité mais ce sont des techniques de retour au travail aliénant.
La recherche de la compétitivité ne peut pas se faire à n'importe quel prix, le respect est une contrepartie du travail qui doit être exigée. La notion de respect de l'Homme va au delà, elle nous oblige à analyser et reconnaître ce que sont les nouvelles pénibilités rencontrées dans le travail (comme l'intensification psychique) afin de les transformer et faire que l'espérance de vie soit équivalente entre les personnes.
L'abaissement des droits personnels et la mise en avant du droit de propriéte transforment l'Etat en un Etat maffieux dont toutes les institutions sont mises progressivement au service d'intérêts particuliers.
Olivier Lenoir
[1] Psychiatre, professeur de médecine légale, expert judiciaire,
Vice-président de la section travail au conseil économique et social.
Auteur d' ouvrages sur le suicide et sur le harcèlement moral au travail (Prévenir la maltraitance envers les personnes âgées . [ed. ENSP], La France du suicide . [ed. Stock], Le suicide . [ed. ellipses], Études sur la mort, Le deuil après suicide . [ed l'esprit du temps] )