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Table ronde : valeur Travail ou valeur du travail
Dominique MEDA s’interrogeait sur la disparition possible de la valeur travail dans le cadre de sa thèse de Doctorat de philosophie en 1995.
Elle rappelait que le travail n’était pas une catégorie anthropologique, mais une catégorie historique, rendue nécessaire à des époques données.
Depuis Adam SMITH et son ouvrage intitulé : « Recherches sur les causes de la richesse des nations », paru en 1776, le travail est la mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise.
MARX oppose à la centralité de l’esprit développé par HEGEL, le travail comme essence de l’homme. C’est son caractère d’utilité et non sa contribution à l’enrichissement des nations qui confère au travail cette centralité.
Encore aujourd’hui, c’est autour de sa mise en œuvre à partir d’un emploi, particulièrement de forme salariée, que se structure notre société et les rapports entre les classes sociales.
Le travail est objet de réalisation de soi en tout ou partie, notamment pour les travaux peu qualifiés.
C’est dans son accomplissement, son rapport à la nature, à la matière, à la connaissance, à la technique, que se construit et se mesure l’homme tout au long de sa vie.
Voyons les dégâts causés par son absence, au-delà du strict aspect rémunération, chez ceux qui ne peuvent que consacrer tout leur temps à en chercher, sous peine d’exclusion sociale, familiale et de régression cognitive et physique.
Vivre décemment de son travail, à l’heure de la domination de la finance, de la rente et de l’instauration par les forces dominantes d’une précarité généralisée, devient un véritable enjeu de survie pour ceux qui ne possèdent comme capital que leur force de travail.
Jeter dans les poubelles de l’histoire, à la fin du siècle dernier, par les tenants du ‘’ tout compétence’’, la qualification revient à l’ordre du jour. En effet, pour apporter des réponses à la précarité montante, le thème de la sécurisation des parcours professionnels est devenu un objet de négociation et de réalisation de rapports divers.
De ce fait, il parait incontournable de convoquer cette notion de qualification, véritable construction sociale, qui permet d’intégrer le capital de compétences détenu par chaque individu dans un ensemble de repères reconnus par les acteurs décisionnaires de notre société, l’Etat et les partenaires sociaux.
Des outils participant à sa construction existent.
Parmi bien d’autres arrêtons-nous sur la formation professionnelle.
Nous nous proposons de brosser un rapide tableau de la situation actuelle, des ces enjeux et d’apporter un éclairage sur un dispositif encore peu utilisé, la validation des acquis de l’expérience (VAE).
Formation professionnelle
Formalisée dans le cadre législatif depuis 1971, la formation professionnelle n’en finie pas de subir d’incessantes réformes, dans lesquels bien souvent malheureusement, l’évaluation des résultats n’a que peu de place.
Plusieurs rapports, dont certains très récents, ont souligné ses caractéristiques négatives, par exemple citons :
- La complexité des mesures et des dispositifs,
- L’accès inégalitaire aux offres publiques et privées, avec comme résultat le fait que la formation va au mieux formés, à ceux qui en ont le moins directement besoin,
- La mauvaise adaptation de l’offre aux besoins des entreprises et des individus par une logique de catalogues de stages,
- Son utilisation comme objet de négociation d’autres domaines, la formation professionnelle sert trop souvent de monnaie d’échange pour obtenir l’accord des partenaires sociaux lors de l’annonce de réformes dans le domaine social,
- L’opacité des circuits financiers,
- La position ambigüe des partenaires sociaux, qui d’un côté, participent à la définition des orientations et de l’autre gèrent l’aspect financier au travers d’organismes, de branches ou inter branches, collecteurs institutionnels des fonds de la formation.
- …
La formation professionnelle fait l’objet d’un regain d’intérêt de la part des autorités politiques, surtout depuis qu’ont été publiées les sommes qui y sont consacrées annuellement, à savoir plus de 26 milliards d’Euros. La formation est dorénavant présentée comme l’outil essentiel de la sécurisation incontournable des parcours professionnels. Sans doute pour servir, une nouvelle fois de contrepartie à des mesures qui s’inscrivent dans une logique historique de captation des fruits de la croissance par le seul capital au détriment du travail.
Une réforme nationale est programmée pour l’année 2008, le président de la république a passé une commande en ce sens à la ministre de l’économie et de l’emploi, alors que la Loi en cours d’application, issue de l’accord national interprofessionnel (ANI), réalisé par l’ensemble des partenaires en 2003, commence seulement à modifier les pratiques de terrain et à pénétrer les entreprises.
Peux aujourd’hui relèvent que le concept de formation tout au long de la vie n’a de sens que s’il s’appuie sur celui, inscrit dans notre constitution, de droit au travail tout au long de la vie.
Que vaut un droit à la formation s’il n’est pas articulé avec des mises en oeuvre concrètes ?
L’économie a besoin d’individus formés pour exercer des activités à valeur ajoutée et pérennes dans le temps et pas d’individus parqués dans des stages qui ne débouchent sur rien hormis la possibilité de s’inscrire à un autre stage et de bénéficier de la solidarité nationale.
La formation n’est pas un tout, un système déconnecté, c’est un outil à articuler aux besoins de l’économie et des individus. C’est bien la rencontre de ces logiques, au départ différentes, mais à l’arrivée, dès l’instant ou l’on travaille à les confronter et à les rapprocher, qui permet d’avoir des travailleurs compétents et motivés et donc des entreprises plus compétitives et adaptables.
En 2000, le Conseil européen de Lisbonne a fixé à l’Europe l’objectif ambitieux de devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. L’éducation et la formation tout au long de la vie sont donc devenus des éléments dans les politiques incitatives européennes.
La question de la certification des acquis des apprentissages formels non-formels et informels détenus et en cours d’acquisition est donc centrale. Cette certification est considérée comme l’élément validé par les autorités nationales compétentes, donc reconnu, des qualifications individuelles.
Un cadre européen des certifications a été adopté par le parlement européen le 25 octobre 2007.
Ce méta-cadre doit permettre à chaque état membre de positionner ses certifications sur une échelle commune, afin qu’elles soient reconnues par tous et permettent une meilleure circulation des individus et surtout une meilleure reconnaissance des qualifications détenues.
La validation des acquis de l’expérience
Dans ce contexte la validation des acquis de l’expérience mise en œuvre par la France est un outil d’accès supplémentaire aux certifications professionnelles. Elle met au même niveau de reconnaissance les acquis de l’expérience que ceux obtenus par la voie académique de la formation initiale ou continue et de l’apprentissage.
C’est une véritable révolution pour notre pays qui commence et qui peine actuellement à prendre la place qui pourrait être la sienne au vu des besoins recensés.
La VAE instaurée par la Loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, permet à toute personne engagée dans la vie professionnelle, d’obtenir une certification professionnelle que sont les diplômes de ministères telles l’Education nationale, l’agriculture, les titres délivrés par le ministère chargé de l’emploi et les certificats de qualification professionnelle délivrés par les branches professionnelles, certifications enregistrées au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), en faisant valider ses expériences professionnelles salariées, non salariées, associatives et bénévoles d’une durée minimum de trois années en lien avec la certification postulée.
Chaque autorité certificative a mis en place un dispositif permettant l’instruction des demandes. Ces dispositifs sont gratuits pour tous les candidats pour les diplômes de l’enseignement professionnel (du CAP au BTS) et payant pour les diplômes de l’enseignement supérieur.
Depuis 2006, un délégué interministériel s’appuyant sur un comité également interministériel conduit des travaux de simplification, de mise en cohérence des différents dispositifs d’Etat.
Bien que cette voie d’accès aux certifications présentent de multiples avantages aussi bien pour les individus notamment en termes de reconnaissance personnelle et de plus en plus au niveau professionnel, que pour les entreprises qui disposent alors d’une meilleure lisibilité des compétences ainsi que d’un accroissement vérifié dans les faits de la motivation de salariés, en 2006, seulement 26 000 certifications ont été délivrées au niveau national, dont plus de la moitié par la seule Education nationale ( du CAP au BTS).
(A titre de comparaison, rappelons que cette dernière délivre environ 750 000 diplômes par an.)
Cette mesure porte en elle une dimension de développement des potentiels humains et permet potentiellement au plus de 30 % de la population active ne possédant aucun signe de qualification d’espérer obtenir un diplôme, parchemin utile dans un pays dominé par la ‘’diplômite’’.
La détention d’un diplôme contribue à la sécurisation de son parcours professionnel. A l’heure du développement accéléré de la précarité face à l’emploi, il est un atout supplémentaire facilitant mobilité géographique, professionnelle, reconversion éventuelle et redonne un sens et une base à la notion de projet professionnel.
LA VAE contribue également à répondre aux besoins importants de qualification de la main d’oeuvre nécessaire dans différents secteurs, tel celui des services à la personne.
Pourquoi alors ne pas développer de manière plus significative les dispositifs et organiser la communication correspondante auprès des publics cibles ?
D’abord mentionnons des résistances importantes des appareils de formation (Education nationale, enseignement scolaire et supérieur et organismes de formation privés et publics) qui craint une concurrence et une baisse des heures de formation dispensées.
Ensuite des questions d’ordre budgétaire freinent l’application des mesures nécessaires de rapprochement des points d’accueil et de traitement des différents publics intéressés. La proximité et la communication ont un coût !
Les régions et les partenaires sociaux, soucieux du respect de leurs prérogatives et de leur pré-carré, de la gestion des fonds de la formation professionnelle par les partenaires sociaux, bien que peu avares de déclarations enthousiastes, de signatures de multiples accords et de conventions, ne s’impliquent pas encore à la hauteur des enjeux. Ils ne perçoivent peut être pas l’importance des enjeux pour leurs propres intérêts. La mise en place de dispositifs de gestion prévisionnelles de l’emploi et des compétences, dont la VAE est un outil, dans les entreprises, est de nature à revivifier le dialogue social et de recréer du ‘’grain à moudre’’ pour les partenaires sociaux.
En guise de conclusion temporaire, il me semble que le chantier qui s’ouvre autour de la formation professionnelle doit nous permettre de réinterroger la place de l’individu dans le process de travail et dans la société. La dignité et la responsabilité des citoyens passent par l’exercice d’une activité permettant de conduire une vie digne et de se développer tout au long de la vie en accroissant les domaines de responsabilité de chacun. S’emparer du thème de la formation professionnelle c’est bien s’emparer des conditions d’une existence bonne pour tous les individus et en particulier pour ceux qui sont le plus fragilisés par les évolutions conduisant à une individualisation de toutes les questions sociales.
Plus que jamais, c’est d’une réflexion sur des traitements collectifs respectant les individus dans leur singularité dont nous avons besoin.
GILLES SCHILDKNECHT