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La République est Démocratique

Notre démocratie repose sur la souveraineté nationale, qui s’exerce par le suffrage universel, lequel n’a pas pour but de collectionner les volontés particulières ou collectives, mais de dégager ce qui s’approche le plus de la volonté générale.
Celle-ci s’exprime par la loi qui ne doit porter que sur des objets généraux, concernant les droits et devoirs de tous les citoyens.

3)- La République est Démocratique

 

L’exercice du pouvoir, ce qu’on appelle le “gouvernement du peuple par le peuple”, se fait par délégation expresse et temporaire dans le cadre d’un mandat non impératif.
Chaque élu est l’élu de la Nation entière, il en exprime la volonté. Élu dans un département, on n’est pas pour autant l’élu simplement du département, mais celui de la Nation. L’élu est responsable devant ses électeurs. Sa sanction c’est la non réélection.

Voilà pour la théorie. Où en est-on aujourd’hui dans la pratique?

Certes la démocratie existe toujours dans notre pays mais elle est gravement malade. Et ses maux sont multiples.
J’en diagnostique cinq au moins.

- la tentation monarchique
- l’affaiblissement du pouvoir législatif
- l’irresponsabilité des gouvernants.
- la montée du pouvoir des juges
- le désengagement des citoyens

1/ La tentation monarchique.

La révision en 1962 de notre constitution a entraîné l’élection au suffrage universel du Président de la République. Cet apparent progrès de la démocratie s’avère en fait lourd de conséquences néfastes. La vie politique en a été profondément perturbée. En effet :

• Le débat d’idées légitime sur les programmes des partis a été détourné vers la lutte de clans - d’ ”écuries” dit-on - autour de présidentiables “virtuels” ou “naturels”. Cela affaiblit la classe politique, en étant source de divisions, tant à droite qu’à gauche.

• Lorsque les majorités présidentielles et parlementaires coïncident on voit trôner au sommet de l’Etat un roi-républicain détenant sa propre légitimité du scrutin universel direct, au même titre que les députés. Cela peut expliquer la propension des citoyens à donner leur faveur à la cohabitation qui est en fait un dévoiement de nos institutions. Mais la tension ou le faux-semblant inhérents à la cohabitation ne valent pas mieux car ils stérilisent le plus souvent l’action politique.

En Europe tous les pays ont un régime parlementaire dans lequel le chef du gouvernement émane de la majorité des députés et doit s’expliquer devant le Parlement. Le Président américain incarne la Nation et gouverne, mais il doit composer en permanence avec sa majorité quand il en a une. Il ne peut dissoudre le Congrès, ni organiser de référendum.

Je partage l’opinion de François Furet qui écrivait “ Ces institutions vont à contre-courant de la tradition démocratique nationale enracinée dans la Révolution ; elles abaissent le pouvoir législatif élu aussi par le peuple”.
Georges Vedel, quant à lui, affirme : “ La seule vraie réforme - et je souhaite bien du plaisir à ceux qui voudraient l’entreprendre - ce serait de supprimer l’élection du Président de la République au suffrage universel”.

2/ L’affaiblissement du pouvoir législatif

C’est certes le corollaire de ce qui précède, mais c’est aussi une dérive des pratiques qui a conduit a l’affaiblissement du législateur. L’Europe et la globalisation de la vie économique ont également réduit sensiblement le champ d’initiative de nos élus.

• Les pouvoirs d’initiative des parlementaires sont réduits, notamment en matière financière. Les propositions de loi sont rarement inscrites à l’ordre du jour des débats. Les élus n’étant pas maîtres de leur ordre du jour, c’est le gouvernement qui a le monopole de l’initiative législative.

• L’article 49.3 interdit aux députés de refuser lois et crédits en gardant le gouvernement.

• Les débats politiques sont transposés du Palais Bourbon aux écrans de télévision et la volonté des élus est sous la surveillance des sondages d’opinion. Nous vivons de plus en plus dans la “démocratie quotidienne” qui est la plus éloignée des principes républicains.
• Surtout, le domaine législatif se réduit comme une peau de chagrin , même si paradoxalement on n’a jamais voté autant de textes, qui sont le plus souvent du domaine réglementaire. Il serait révélateur de comparer le temps passé par les parlementaires sur le dossier de la chasse au regard de la quasi absence de débat de fond sur l’éducation.

• Enfin, ce qui nous régit aujourd’hui ce sont avant tout les conventions internationales et les directives européennes. Les premières sont négociées en amont par le gouvernement et ne sont plus amendables lorsqu’elles arrivent devant le Parlement. Les secondes sont élaborées par des experts sans contrôle ni responsabilité politique.

Et même dans la mesure où les directives européennes doivent être “transposées”, le gouvernement dépose un projet de loi visant à être autorisé à le faire par ordonnance. La charge de travail du Parlement est trop lourde, prétend-il. C’est ainsi que le gouvernement a présenté à l’ automne 2001 un train d’ordonnances portant sur rien moins que 135 directives, avec des mesures aussi graves que l’autorisation de licencier les femmes enceintes ou de faire travailler des enfants de treize ans, appelées donc à être adoptées sans que nos élus aient eu à en débattre. En définitive, après la protestation de plusieurs députés, c’est seulement une cinquantaine de directives qui ont été fin décembre ainsi transposées non démocratiquement.

Georges Vedel souhaite qu’on “redonne de l’espace au pouvoir du Parlement”. En face de lui, en effet, l’exécutif est devenu trop puissant. Trop puissant .. et irresponsable.

3/ L’irresponsabilité des gouvernants

L’Exécutif dispose de pouvoirs considérables , qu’il s’agisse du Président de la République ( hors cas de cohabitation ) ou qu’il s’agisse du gouvernement lui-même. Mais parallèlement la responsabilité de ces gouvernants est très atténuée.

• Collectivement les gouvernements ne sont pas soumis au contrôle des élus. Depuis l’avènement de la Vè République nous n’avons pas connu un seul cas de gouvernement renversé par l’adoption d’une motion de censure.

• L’irresponsabilité vient surtout de la démission des gouvernants face à leur mission. Les élus et le gouvernement qui est issu des urnes sont seuls fondés à parler et à agir au nom du peuple dont ils ont reçu mandat. Or la tendance est actuellement à l’abandon de pouvoirs entre les mains de techniciens ou de “sages” qui eux, n’ont de compte à rendre à personne.

- les techniciens se sont les membres des cabinets ministériels, devenus pléthoriques et au sein desquels font la pluie et le beau temps des hauts fonctionnaires détachés. Ce sont aussi les directeurs des ministères dont le poids ne cesse de grandir et qui forment avec les membres des cabinets la technostructure inamovible ou interchangeable. Le poids redoutable de Bercy (le ministère des finances) n’est plus à démontrer. Les gouvernements changent, la politique s’infléchit à peine.

- les sages constituent le second symptôme de la déviation. Dès qu’un problème délicat se pose, on nomme un expert, une commission, un rapporteur, on crée un Comité ou un Haut-Comité, un Conseil si possible Supérieur...
Dans le meilleur des cas ces organismes ont un rôle consultatif. encore faudrait-il évaluer l’impact réel de leur avis sur les décisions prises.

Et à ces abandons, il faut ajouter ceux qui sont consentis à des organismes du même type au niveau européen, avec, au premier chef, la Banque Centrale Européenne !

4/ La montée du pouvoir des juges

Face à la limitation du pouvoir législatif et à l’abandon du pouvoir exécutif, la montée du pouvoir des juges menace l’équilibre républicain.

• Il n’est pas question pour nous de contester la légitimité du judiciaire, ni le devoir de la justice de rechercher la vérité, et de poursuivre les auteurs de délits quels qu’ils soient. Il faut même reconnaître que la République a depuis trop longtemps laissé se dégrader l’institution judiciaire qui est misérable et inadaptée.
Il y a aussi ce que Daniel Souliez-Larivière a appelé dans son ouvrage “ Le cirque médiatico-judiciaire ”, illustré par le non respect du secret de l’instruction, des perquisitions à l’heure du journal télévisé, des inculpations à la veille d’un congrès politique, ou encore la diffusion à la presse de rapports destinés à l’autorité judiciaire.

• Accentuée par la contagion des mœurs d’outre atlantique, la judiciarisation de la société française est en marche et elle n’épargne pas les décisions politiques.

• De leur coté, en cédant aux sirènes de la “modernité”, les gouvernants ont aggravé la dérive en envisageant de remettre en cause le principe des liens organiques entre l’exécutif (le Garde des Sceaux) et les procureurs, liens qui garantissent la légitimité et l’unicité de la justice. La rupture totale de ces liens aurait pour conséquence de porter atteinte aux droits des citoyens en les exposant à l’arbitraire d’un nouveau pouvoir sans responsabilité directe.

• On ne peut pas parler du pouvoir des juges sans évoquer celui du Conseil Constitutionnel. Le droit d’interprétation de la Constitution donné à un corps de juges est un emprunt à la tradition américaine. Mais l’existence même de cette institution pose un problème d’école : la volonté du peuple et de ses représentants peuvent-ils être mis en échec au nom de principes supérieurs?
Nous n'avons pas la prétention de trancher ce débat mais, au fur et à mesure que le Conseil enrichit sa jurisprudence, les principes supérieurs risquent de devenir à la fois plus diffus et plus impérieux.
Ces craintes ne sont pas illusoires. (cf : promulgation de l’immunité du Président de la République, l'article 68-1 et 68-2 de la Constitution, etc…)
Lorsque le Conseil Constitutionnel a décidé d’élargir ses références à ce qu’on a appelé le “bloc constitutionnel”, incluant les déclarations de 1789 et de 1946, on a pu se réjouir de voir ainsi légitimées des valeurs aussi généreuses. Mais comme celles-ci ont aussi le défaut d’être générales, abstraites et parfois contradictoires, elles s’avèrent sujettes à davantage d’interprétation, ce qui peut justifier toutes craintes pour l’avenir.

5 / Le désengagement des citoyens

C’est bien sûr la conséquence de tout ce qui précède. A cet égard les taux records d’abstentions révélent la profondeur de la désaffection des citoyens pour la vie démocratique.
*Il apparaît bien que les Français se détournent de leur politique et portent un jugement sévère sur ceux qui l’incarnent. Il faut dire que la prolifération, en forme de feuilleton, des affaires judiciaires touchant la classe politique n’est pas fait pour atténuer cette tendance déplorable.

Cette dépolitisation des esprits est loin de déplaire aux professionnels de la politique, dans la mesure ou ceux-ci rêvent d’une “démocratie apaisée” réduite au spectacle d’un consensus sur l’essentiel entre la gauche et la droite.

Face à tous ces abandons et à cette apathie civique, le succès de nombreuses associations (comme ATTAC, pour n’en citer qu’une) qui mobilisent beaucoup d’énergie citoyenne peut nous redonner confiance en l’avenir.

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