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La République est Indivisible
Cette République que nous aimons est l'une de nos plus belles conquêtes, mais savons-nous toujours tout ce qu’elle recouvre d’exigences et de combats?
L’indivisibilité est sans doute la caractéristique fondamentale la plus originale de la République Française.
1)- La République est Indivisible
Que signifie l‘indivisibilité? Que la République connaît mais ne reconnaît pas tout ce qui tend à morceler, séparer, démanteler la communauté civique - religion, origines ethniques, intérêts... Elle respecte les folklores et les cultures mais elle soumet à la loi commune ce qu’on appelle ailleurs les “minorités”. Il y a des corses, des protestants, des noirs, des homosexuels dans nos assemblées, mais ils n’y siègent pas es-qualités, ni au prorata de leur importance numérique dans le pays.
La République Française est composée de citoyens non de communautés.
Les individus ont leurs particularités.
Pas les citoyens.
La République indivisible est donc unitaire.
Elle a hérité de la monarchie une culture centraliste et non fédéraliste. Le gouvernement a le pas sur les régions. Et les progrès, heureux, de la décentralisation ne visaient nullement à remettre en cause ce principe
L’unité républicaine n’exclut pas, bien sûr, la diversité. L’unité de la France s’est faite et se fait encore dans la confrontation, l’alliance ou parfois la discorde de ses composantes. Elle s’est réalisée au cours des siècles à travers l’intégration des citoyens, intégration rendue précisément possible par cette indivisibilité qui reconnaît la seule citoyenneté.
Que constate t’on aujourd’hui?
1/ de graves transgressions du principe d’indivisibilité
2/ la remise en cause du rôle fondamental de la nation.
1/ les graves transgressions du principe
Coup sur coup depuis quelques années de graves atteintes ont été portées à l’indivisibilité dans une indifférence presque générale. L’enjeu des mesures n’étant pas bien perçu par le public, seuls des juristes et quelques politiques ont dénoncé le laxisme des responsables et mis en garde contre ses conséquences pour demain.
a)- Pour lutter contre le déséquilibre des sexes dans la représentation nationale ou locale - saine préoccupation - , on a imaginé de mettre en œuvre le principe de “parité” par une modification de la Constitution.
Pour la première fois un État modifie sa constitution pour instaurer une “discrimination positive”. Même les Etats-Unis, d’où nous vient cette malencontreuse idée, ne l’ont pas fait. Leur “affirmative action” s’exerce dans les entreprises ou à l’université, mais pas au Congrès ni au Sénat (où les femmes représentent 10% des élus).
Le plus grave est que désormais les citoyens ne sont plus égaux. La loi en reconnaît 2 catégories: les hommes et les femmes. Et la brèche est ouverte pour que demain les « communautés » les plus diverses demandent leur juste part d’élus
La République universelle est remise en cause. La république des sexes ouvre la porte à la république des communautés.
b)- La Charteeuropéenne des langues régionales a été signée par le gouvernement, mais fort heureusement elle n’a pas été ratifiée, grâce notamment à l’opposition du Président de le République. En quoi cette Charte est-elle dangereuse?
- la Charte stipule qu’il doit être mis en place non seulement un enseignement officiel des langues régionales ou minoritaires, mais aussi un enseignement dans ces langues. Si la langue française a été le principe unificateur de la France, ce n’est certes pas pour faire taire les parlers locaux, mais pour qu’ils échangent et débattent en toute compréhension. Comment se parleraient demain des enfants élevés en Corse ou en Bretagne, s’ils n’ont appris le français qu’en seconde langue?
- la Charte reconnaît le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie publique, ce qui signifie que devant une administration ou un tribunal, il sera licite de s’exprimer en corse, en occitan, en picard ou en berbère... devant des fonctionnaires parlant la même langue évidemment. L’art. 2 de la Constitution qui énonce “ La langue de la République est le français ” a t’il encore un sens?
- par dessus tout, la Charte fait obligation aux états signataires de “prendre en considération” les besoins et les vœux exprimés par les groupes linguistiques”. La République qui ne connaît que les citoyens devrait donc désormais reconnaître les communautés. Nous voici au cœur du sujet.
2/ la remise en cause du rôle fondamental de la nation.
Elle résulte d’une tendance mondiale bénéficiant chez nous d’un contexte favorable. Elle est alimentée par un courant de pensée qui se veut moderne.
• une tendance mondiale
Dans son ouvrage “Géopolitique du chaos”, Ignacio Ramonet analyse les deux tendances opposées qui gouvernent l’évolution du monde actuel :
>La fusion, conséquence de la mondialisation de l’économie, pousse les États à se regrouper pour faire face à la concurrence de plus en plus vive : Union Européenne, Alena, Mercosur, Apec (Asie),Uma (Afrique du Nord). Ces accords de libre-échange aboutissent aussi au renforcement des alliances politiques.
>La fission, que connaissent les grands ensembles, touche presque toutes les nations. Des pays entiers se fissurent ( Tchécoslovaquie, Ethiopie, Somalie, Côte d’Ivoire...), d’autres sont en proie à des tendances séparatistes (Canada, Grande-Bretagne, Espagne, Italie...), de grands ensembles implosent et se fragmentent (Union soviétique, Balkans, Caucase...). Trois états fédéraux d’Europe orientale ont donné naissance à 22 États indépendants.
“Le problème des années qui viennent, écrit Edgar Morin, est celui de la lutte multiforme entre, d’une part les forces d’association, de fédération, de confédération, non seulement en Europe mais dans le monde, et d’autre part des forces de disjonction, d’éclatement, de rupture, de conflits”.
Les forces de disjonction sont particulièrement stimulées par la renaissance de la conception ethnique de l’État - nation. L’idée - antirépublicaine - que l’État doit exercer son autorité sur une communauté ethnique homogène (même langue, même sang, même religion, même territoire) est hélas en progrès.
Elle divise les citoyens et clive dangereusement les sociétés.
C’est dans ce contexte que certains voudraient voir évoluer l’Europe.
Il existe dans les instances européennes un rapport trop peu connu, le rapport Heineken (l’auteur est bien celui à qui vous pensez) qui prône la disparition des États-nations et l’avènement de l’Europe des Régions.
La charte Européenne des langues régionales apparaît donc bien comme l’expression d’une des valeurs essentielles de l’Europe : la défense et le développement des cultures régionales.
• un contexte favorable
• Il n’est pas question de critiquer les lois de décentralisation - bien au contraire .
Elles ont rapproché certaines décisions de ceux qu’elles concernent et ont contribué à une extension de la démocratie.
• Il se trouve malheureusement que la montée en puissance des Régions coïncide avec la dilution internationale du pouvoir. La mondialisation de l’économie est un vaste sujet que je n’aborderai pas. Il est patent qu’elle a notamment pour conséquence de transférer les décisions politiques aux grands groupes transnationaux et aux organisations mondiales non démocratiques.
Dans le cadre de l'Europe, les États membres ont également abandonné beaucoup des outils de leur souveraineté.
La politique monétaire échappe à la Nation, de même que, dans une certaine mesure la politique budgétaire, et demain la politique fiscale, pour ne citer que ces exemples.
Il faut avoir conscience que l’objectif des transnationales et de tous les néo - libéraux est de dissoudre les communautés de citoyens pour en faire des collections de consommateurs dociles.
Or, l’Etat - Nation est le seul instrument de résistance à l’impérialisme du marché globalisé.
• un courant de pensée
Tous ces phénomènes concourent à rendre crédible ou attrayantes, des thèses qui se développent de plus en plus.
Elles se rattachent à un courant de pensée lié le plus souvent à une adhésion au libéralisme mondial qui s’efforce, sous couvert de ridiculiser le “jacobinisme”, de saper les fondements de l’État et de la Nation.
Le livre de Jean-Marie Colombani “Les infortunes de la République” a le mérite d’étaler au grand jour des conceptions parfois plus sournoisement répandues.
Il s’agit ni plus ni moins de substituer à la République une et indivisible une “République plurielle” où la liberté est sensée mieux s’épanouir. Elle y serait garantie par le juge (c’est la “démocratie contentieuse”) qui, comme par hasard, jugera selon la procédure contradictoire chère aux Anglo-saxons.
Elle sera assurée aussi grâce aux médias (c’est la “démocratie d’opinion”).
Dans une telle République, on se demande quelle sera la place du citoyen.
La souveraineté populaire disparaît au profit des juges et des médias, c’est à dire en partie de l’argent.
Surtout, cette démocratie bien particulière s’exercera dans le cadre de six grandes Régions délivrées de la tutelle de l’État, et qui seraient, selon J.M. Colombani, des “atomes français de l’Europe”.
Jean-Pierre Chevénement s’est élevé, comme on s’en doute, contre une telle conception de la République dans un long article publié par Le Monde (24 novembre 2000) . Je ne résiste pas au plaisir de vous citer une belle envolée de son propos :
“ Prôner l’atomisation de notre pays dans une Europe des Régions c’est ne pas comprendre la France comme une personnalité structurée et comme acteur de l’Histoire. C’est méconnaître cette grande et puissante réalité qu’on appelle le peuple français qui vibrait déjà à Bouvines, qui se redécouvre à Valmy et se lève à tous les grands moments de notre histoire”.