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La République est Sociale
Cette dimension est de la plus grande importance.
C’est un élément fondamental de l’équilibre de l’ensemble parce qu’elle assure la cohésion collective des individus et des groupes.
Cette particularité de notre République est une conquête de la Révolution.
La République sociale c’est, en effet, une démocratie assortie d’un projet de société bien précis, et fondée sur l’idée que la République n’est véritablement elle-même et n’accomplit réellement son essence, que si elle ajoute aux procédures démocratiques un minimum de contenu social.
4)- La République est Sociale
C’est la Constituante qui a proclamé que “tout homme en naissant a droit à la protection et aux secours de l’humanité ”, établissant ainsi un lien étroit entre la promotion des droits de l’homme et la reconnaissance des droits sociaux. Ce caractère a été confirmé en 1848 et consacré par la législation de la IIIè République.
La mise en œuvre de la République sociale [cf. Michel Borgetto et Robert Lafore “La république sociale” Puf.2000] se traduit par:
- l’existence du droit social
- le développement du service public
- une politique sociale permanente fondée sur la solidarité.
Laissons provisoirement de côté l’évolution du droit social, qui mériterait une étude à lui seul, pour souligner surtout que sur chacun des deux autres sujets, les attaques, les reculs et les abandons, sont manifestes.
1/ la dégradation du service public
• Le service public s’est imposé en France comme la pierre angulaire du droit administratif. Il est fondé sur l’égalité et la continuité. L’administration est censée satisfaire la demande des individus en matière de biens et de prestations considérées comme utiles ou indispensables.
Dans un monde où la recherche du profit est érigé en dogme universel, le service public apparaît trop souvent aujourd’hui comme une anomalie ou une survivance d’une époque périmée. Nous avons tous à l’esprit des dizaines d’exemples de l’abandon du principe et des manifestations du service public au bénéfice d’entreprises privées...
La déréglementation et les directives européennes conduisent à placer progressivement nos services publics dans le domaine concurrentiel, c’est à dire à les privatiser de droit ou de fait. les Télécom, l’électricité, sous peu le gaz, la Poste, la distribution d’un produit essentiel à la vie : l’eau. Et c’est jusqu’au dernier outil d’investissement public et de régulation des marchés, la Caisse des dépôts et consignations, qui va être démantelé et privatisé.
• Il faut souligner que ceux-la même qui entendent désengager l’Etat de ses activités d’intérêt public au bénéfice de leurs intérêts particuliers sont les premiers à faire appel à la solidarité de la Nation lorsqu’ils sont en difficulté. Qui paye , sinon le contribuable?
André Bellon, ex-Président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, estime que se battre pour le développement des services publics est le plus grand des services qu’ont peut rendre à la construction européenne.
• Le service public, on l’oublie trop souvent, visait à se substituer aux “œuvres” de l’ancien régime, c’est à dire au secteur caritatif. A ce sujet la conquête de la Sécurité sociale est exemplaire. Mais la baisse du nombre des actifs et l’élévation du niveau des soins sont sources de difficultés financières pour cette institution. Il n’en a pas moins fallu pour que surgissent des projets de privatisation parallèle, chez Axa par exemple, qui ne manqueraient pas de créer une protection à plusieurs niveaux. Le projet de retraite par capitalisation procède du même calcul vicié par le libéralisme. ( A contrario, réjouissons nous de la mise en œuvre de l’assurance universelle ).
• Sommes-nous en train de connaître un retour en arrière en matière de solidarité? Personne aujourd'hui ne se souvient de Pierre Laroque, architecte principal de la Sécurité Sociale, mais tout le monde peut reconnaître dans la rue le moindre des animateurs du Téléthon. Et je pose la question : Les “restos du cœur”, œuvre hautement méritoire par ailleurs, ne sont-ils pas une réincarnation des soupes populaires, donc le témoignage de la dégradation du système social ?
Régis Debray répond : “Le moralisme confond le privé et le public, les vertus personnelles et les obligations civiques. Il prend la charité pour la justice, l’Abbé Pierre pour phare, la Croix-Rouge et les Restos du Cœur pour une réponse satisfaisante à la question sociale. La République préfère le civisme ”
2/ l’égalité et la solidarité en question
La solidarité, terme inconnu sous la Révolution française, connaît un succès considérable à la fin du XIX è siècle, au point d’être même placé au centre d’une doctrine sociale par notre F. Léon Bourgeois.
La solidarité apparaît comme le corollaire du principe de fraternité . Mais elle se fonde surtout sur celui d’égalité. Or, précisément cette solidarité est remise en cause aujourd’hui, par la volonté de certains de substituer au principe d’égalité celui d’équité, dans le droit fil des travaux de John Rawls.
• Si l’équité vise seulement à souligner que trop d’égalité en droit tue l’égalité en fait, et que l’équité doit servir de complément à l’égalité, cette notion est recevable, et elle existe déjà, par exemple dans l’impôt progressif. Mais l’ériger en principe absolu et novateur, sous prétexte de refuser les excès de l’égalitarisme, aboutit à contredire l’esprit même de la République sociale.
Or, que disent les “équitaristes” ? Essentiellement qu’il y a des inégalités qui sont “ nécessaires au dynamisme de l’économie” ; que l’égalité est donc condamnable et que seule l’équité est raisonnable.
• Remarquons tout d’abord que le concept d’équité se révèle, tant par son contenu que par sa mise en œuvre, infiniment plus imprécis, contingent, subjectif et insaisissable que celui d’égalité.
Qu’est-ce qui est équitable? Qui fixe le contenu de l’équité? En principe le législateur, mais comme il n’y a pas de norme, sa marge de manœuvre est large, et peut conduire à une parcellisation des droits et statuts juridiques, puisque l’équité a précisément pour but d’adapter les mesures générales à la particularité des situations. On ouvre ainsi la voie à toutes les contestations.
• Mais surtout, l’équité en matière de protection sociale débouche sur le déclin de l’universalité. On recentre la protection sur les plus démunis en mettant de plus en plus de prestations sous conditions de ressources. Ce faisant, on met le doigt dans un engrenage infernal : soumettre les allocations familiales, puis les allocations spéciales aux enfants handicapés, puis l’assurance maladie au critère de l’équité, c'est engager, à terme, les plus gros cotisants à faire sécession, aux dépens des autres assurés. Sans oublier que la fixation des seuils, exigés par la notion de l’équité, et le principe même des seuils couperets, sont sources d’injustice et ferments de profonde et révoltante inégalité.
• En fait la montée en puissance de ce principe d’équité se situe au cœur d’une entreprise de reconstruction idéologique qu’il faut démystifier.
L’ “équitarisme”, en défendant les inégalités “ nécessaires au dynamisme de l’économie” se place en rupture totale avec le modèle républicain français dont on trouve le fondement dans le Contrat Social de J.J. Rousseau “ C’est parce que la force des choses tend toujours à détruire l‘égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir ”.
On peut légitimement souhaiter introduire plus de justice et d’équité dans le fonctionnement de la société, mais cela ne peut se faire qu’en sauvegardant le principe d’égalité, car les inégalités engendrées par l’équité aboutissent à ce qu’il y ait des gagnants et des perdants.
> Les gagnants sont en bas et en haut de l’échelle sociale : les défavorisés qui bénéficient des prestations, et les plus nantis, puisque les inégalités sociales dont ils sont bénéficiaires - qui sont déclarées justes et efficaces - n’ont pas à être réduites.
> Les perdants sont le gros des troupes, les classes moyennes, qui ont à payer le coût des discriminations positives, sans être en position de tirer profit de l’écart croissant - et dorénavant légitime - pouvant exister entre les revenus et les patrimoines des uns et des autres.
Faire cette analyse c’est dénoncer les objectifs et les arrière-pensées de ceux qui entendent saper les fondements de la République sociale en la faisant passer sous les fourches caudines du marché. Ce sont les mêmes qui prônent aujourd’hui une “refondation sociale” qui vise en fait à donner la primauté à l’économie et à accroître le rôle des entrepreneurs dans la société. Le MEDEF qui entend se situer au dessus des partis veut imposer le contrat contre la loi. Ce faisant, il remet en cause le principe d’égalité puisqu’il privilégie l’entreprise comme niveau de négociation et favorise même les rapports sociaux individualisés.
La République sociale, elle aussi, est en danger !